Le concept de couleur est un des premiers que l’on maîtrise dans la petite enfance, à tel point qu’il peut sembler totalement évident. Et pourtant.
Ce qu’on appelle "couleur" est en fait une sensation générée par notre cerveau en réponse à la lumière. Plus précisément, à la longueur d’onde de la lumière qui frappe notre œil, or il s’agit seulement d’une toute petite portion du spectre électromagnétique, entre 400 nm (violet) et 700 nm (rouge).
Ainsi, bien que nous ayons l’impression qu’il existe une infinité de couleurs dans la nature, nous autres humains n’en voyons qu’une palette très restreinte : les papillons voient littéralement les ultraviolets, certains serpents voient l’infrarouge et la crevette-mante possède 16 types de cônes (contre 3 pour les humains : bleu-vert-rouge), lui permettant ainsi de voir des couleurs qu’on ne peut même pas conceptualiser.
Conséquences assez renversantes : les objets n’ont donc pas de couleur en soi, seulement une perception propre à chacun de nous. Qui plus est, le monde possède une infinité "couleurs" qu’on ne verra jamais parce que notre biologie ne nous le permet pas.
Nous sommes dans une bulle sensorielle.
Mais alors, comment dépasser ou jouer avec ces limitations de notre cerveau ?
Les trois artistes internationaux du nouveau group-show « Spectrum » de la Galerie Bessaud, visible du 17 avril au 31 mai se sont penchés sur la question, dans des œuvres abstraites utilisant des mediums étonnants pour retranscrire les spectres coloriels et où les limites de notre esprit sont repoussées pour, qui sait, nous permettre de faire exploser cette bulle ?
Pour l’américain Ryan Crotty, d'Auburn, dans le Nebraska, cette quête passe par une technique bien particulière.
Héritier du Colorfield Painting popularisé par Rothko, il fait uniquement appel aux 3 couleurs primaires du spectre lumineux, sous forme de gels translucides qu’il superpose couche après couche directement sur la toile à l’aide de longues spatules. À partir de 3 couleurs en naissent alors une infinité, sans qu’aucun mélange n’ait été fait : c’est finalement notre cerveau qui réalise, à lui seul, tout le travail à la place du peintre grâce aux jeux de transparence et de superpositions… Il remet ainsi en question notre interprétation visuelle d’une surface bi-dimensionnelle et nous aide à atteindre notre moment de grâce esthétique par de grands aplats abstraits de couleurs et les vibrations visuelles qu’ils suscitent.
Ryan Crotty est représenté dans le monde par plusieurs galeries d’art de renom, dont la prestigieuse High Noon Gallery à New York et la Galerie Robertson Arès à Montréal, où ses oeuvres continuent de fasciner et d’inspirer un public toujours plus large.
Le néerlandais Sebastiaan Knot, quant à lui, interroge la perception des couleurs et de la profondeur, à l’instar des artistes de l’Art Optique et Cinétique. « La lumière est à la fois mon médium et mon sujet », explique-t-il.
En superposant les teintes et en jouant avec les ombres et les reflets, il crée des illusions optiques qui remettent en question notre manière d’appréhender notre espace. Son processus de création repose sur une approche expérimentale et technique rigoureuse. Travaillant exclusivement en studio, il construit des mises en scène épurées, où des formes simples sont éclairées par des sources lumineuses colorées. À l’aide d’un jeu précis de lentilles et de filtres, il photographie ces instants sans intervention numérique. Ses oeuvres, qui oscillent entre abstraction et matérialité, invitent le spectateur à une expérience immersive où la lumière devient un langage à part entière.
Knot a exposé dans de nombreuses institutions et événements internationaux, notamment la Fondation Vasarely en France et l’Unseen Photo Fair à Amsterdam.
Enfin, le parisien François Nugues réinvente, depuis plusieurs décennies dans son langage abstrait, toute une grammaire de motifs et de formes nés des éléments naturels ou de la main de l’homme. « La couleur est une énergie vivante qui ne cesse de se métamorphoser », explique- t-il.
Entre visions cosmiques et microscopiques, il nous fait pénétrer dans son univers pictural que l’on peut ressentir physiquement tellement il est organique ; des oeuvres où formes organiques et fluides se superposent. Sur la toile, la peinture poussée, fusionne et se rétracte, produisant une collection de textures tachetées, aqueuses, agglutinées, visqueuses, nuageuses, aériennes, dures comme la glace ou aussi légères que des pétales. Nulle hiérarchie dans l’infinie possibilité des compositions n’impose d’ordre à suivre : le regard chemine librement mais il est pourtant captif, malgré lui, des lignes dynamiques sur la toile.