Les petites choses

20 June - 20 July 2024
« La vie, pour autant qu’on puisse s’en souvenir, c’est ce qui se passe dans les intervalles, entre les événements, une sensation de bonheur fugace, une douleur que l’on oublie. »
Annie Ernaux – Les Années
Dans « Les petites choses », group-show visible du 20 juin au 20 juillet à la Galerie Bessaud, 5 artistes français célèbrent la beauté qui se cache dans le quotidien, nous aident à percevoir ces petites choses qui, tout en paraissant parfois triviales, donnent tout leur sens à l'existence.
 
Pour Lola Ripoche, artiste lyonnaise formée à l’école Boulle ainsi qu’à l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, il nous faut lever les yeux et prêter une attention toute particulière au céleste. Elle développe ainsi une recherche formelle et conceptuelle sur la captation des sensations particulaires et les nuages, artefacts universels qui synthétisent autant des questions de représentation que des enjeux liés à notre lien à l’environnement, entre fumées, smog de pollution et cumulus de beau temps. L’artiste met au point des techniques mixtes de sfumato qui explorent les rapports entre support et surface pour nous amener à regarder ce que l’on voit. 
 
Pour Caroline Karenine, il s’agit de se souvenir et d’immortaliser ces lieux et ces moments qui l’ont accompagnée à partir de son enfance. Elle imagine pour cela des assemblages organiques de fragments de porcelaine, de papiers et de fils, dans une abstraction poétique inspirée par l'impressionnisme et l'art des estampes asiatiques. Les jeux de tissages et de perforations de la matière fonctionnent comme autant de coups de pinceaux et créent une cartographie morcelée de ces paysages et ces sensations dont elle souhaite se souvenir à jamais. D'un souvenir personnel, il devient celui de tous. Seuls points de repère sur cette cartographie, les titres des œuvres. Tels des indices, ils révèlent une saison, un moment ou un lieu.
 
Chez Silvio Mildonian, la joie réside dans l’évocation des éléments simples qui forgent ses racines. Racines anciennes et arméniennes tout d’abord, avec un motif dont il sonde obsessionnellement les variations : l’abricot. On dit en effet qu’il est le fruit de l’Arménie et l’un de ses symboles forts. Une légende voudrait que Noé, à la descente de l’arche et suite aux inondations ayant frappé la Terre, aurait replanté un abricotier. Seul cet arbre aurait résisté au cœur de ces sols immergés, le cataclysme ayant tout détruit sur son passage. La fascination liée à cette solidité est une manière pour l’artiste de matérialiser la force déployée par toute chose vivante pour devenir aussi robuste que cet arbre et résister aux aléas de la vie. 
Les secondes racines qu’il évoque sont celles de sa région natale, entre Marseille et la Provence. Il les dépeint avec bonheur et un apparent lâcher-prise qui cache pourtant un travail rigoureux de composition. Il procède d’une série de superpositions, d’accumulations, de recadrages, et mobilise un large éventail d’outils et de techniques. Craie grasse, peinture à l’huile, spray, acrylique… : l’artiste mixe les textures et les rendus pour mieux expérimenter de nouvelles approches et “apprivoiser le chaos”, selon ses termes. En résulte une peinture effervescente et exubérante, à la liberté assumée.
 
L’artiste Emile Orange, qui vit et travaille à Caen, utilise un lexique figuratif, influencé par la photographie et le cinéma, pour se réapproprier ce qu’il traverse au quotidien. Il crée des images narratives dans lesquelles se mêlent la lumière d'un éclairage électrique comme celle d’un soleil trop bas. La couleur est un élément essentiel dans son travail, elle lui permet d'exprimer les fascinations et les inquiétudes qui le traversent. L'utilisation de pigments fluorescent rend sa peinture difficilement reproductible, on ne peut en profiter pleinement qu'en se trouvant face à elle. Ses références sont autant le silence d’Edward Hopper, les intrigues de Jacques Monory que les vibrations de Nina Childress. Il transfigure, en somme, les petites choses de sa vie et leur donne une grandeur presque cinématographique.
 
Pour l’artiste Léo Dorfner, il s’agit de disséquer puis de réarranger toutes les bribes qui façonnent notre quotidien : représentations populaires et médiatiques, icônes publicitaires, mèmes visuels… Il dessine une mythologie rock du contemporain aussi incrédule qu’indisciplinée. Par emprunts et citations, par agencement, collage et marquage, il donne forme à des narrations éclatées, souvent absurdes et anachroniques. Profondément poétique, son travail repose sur le goût de l’expérimentation graphique et le soin pris à la composition, au cœur d’un jeu plastique entre la texture du papier, la qualité du trait, la nuance des couleurs et les éventuelles légendes qui les illustrent. Les histoires urbaines auxquelles il nous convie révèlent ainsi la belle impertinence de son regard et la capacité des superpositions d’images à faire sens, envers et contre toute logique.